En 1858, au large des côtes australiennes, un jeune mousse vendéen nommé Narcisse Pelletier voit sa vie basculer. À peine âgé de 14 ans, il fait partie de l’équipage du Saint-Paul, un trois-mâts marchand transportant des passagers chinois vers l’Australie en pleine ruée vers l’or. Mais la traversée vire au drame, le navire s’échoue sur les récifs de l’île Rossel, dans des eaux mal cartographiées et particulièrement dangereuses. Il devient alors naufragé.

Un naufragé français en terre inconnue

Après des jours d’errance en chaloupe, sans vivres ni eau potable, le groupe de rescapés atteint les rivages du Cap Direction, dans le nord du Queensland. Épuisé, blessé et affaibli, Narcisse est abandonné par ses compagnons sur la plage. Ce jour-là, il quitte à jamais le monde qu’il connaît.

Alors qu’il est au bord de la mort, trois femmes aborigènes le découvrent et alertent leur communauté, le peuple Wanthaala. Le chef décide d'accueillir le naufragé, lui offrant une chance de survie. Baptisé Amglo, le jeune Français apprend à vivre selon les coutumes locales, il pêche, chasse, parle leur langue et participe aux rites initiatiques.

Peu à peu, le naufragé européen s’efface. Il adopte la culture, les traditions et même les marques corporelles de ses hôtes. Il oublie sa langue maternelle, son passé et jusqu’à son nom. Pour lui, la côte australienne devient un foyer, non un exil. Cette transformation, rare pour un Occidental de l’époque, montre une capacité d’adaptation hors du commun dans un monde radicalement différent.

naufragé français

Arraché à sa nouvelle vie

En 1875, dix-sept ans après son naufrage, un navire britannique, le John Bell, aperçoit un homme blanc au sein d’un groupe aborigène. Pensant à un prisonnier, l’équipage décide de « le sauver ». En réalité, Narcisse n’a rien d’un captif, il vit là depuis presque deux décennies, intégré et accepté. Malgré les protestations de la tribu, l'ancien naufragé est embarqué de force.

Ce retour brutal marque une seconde rupture. Conduit en Australie, puis rapatrié en France, Narcisse retrouve une civilisation qu’il ne comprend plus. Son corps, ses gestes, sa manière de parler ou de manger trahissent ses années passées ailleurs. La presse s’empare de son histoire, fascinée par ce « sauvage revenu à la civilisation ». On le montre, on l’interroge, on le décrit, mais rarement on l’écoute vraiment.

De retour à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, sa ville natale, Narcisse, ancien naufragé, tente de reprendre pied. Il travaille d’abord comme gardien de phare, puis comme employé portuaire à Saint-Nazaire. Sa vie est simple, discrète, presque effacée. Il se marie, sans enfant, et ne cherche jamais à tirer profit de sa notoriété passagère. Il meurt en 1894, à cinquante ans, laissant derrière lui une histoire à la frontière du mythe et du réel.